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La naissance du Be-bop
 
Extrait d’un article de Louis HAUSER (Rubato n° 13 - 10/99) :
 

En 1945, la joie de la liberté retrouvée éclate dans la France entière, qui fait la fête pour oublier les horreurs de la guerre. À Saint-Germain-des-Prés, se donnent rendez-vous tous les jeunes. Ecrivains, musiciens et toute une nouvelle génération d'artistes promis à la célébrité. Ceux-ci fréquentent alors de modestes bistros, qui ne savent pas encore qu'ils deviendront, eux aussi, historiques.

L'aventure commence au "Bar Vert", au 10 rue Jacob, où se donnent rendez-vous Prévert, Vadim, Roger Vailland et bien d'autres artistes. C'est André Leduc, le propriétaire de cet obscur bistro devenu à la mode, qui a l'idée de chercher une cave à louer pour y faire du jazz. Il n'est cependant pas vraiment le précurseur de la formule , car, depuis mai 46, un jeune garçon du nom de Claude Luter , fait fureur au "Lorientais", une boîte ouverte dans le sous-sol de l'hôtel des Carmes, rue des Carmes. Là, dans une cave malcommode, une foule fanatique s'entasse pour hurler de délire aux accents du jazz dit "Nouvelle-Orléans", dont Luter s'est fait l'apôtre.

Une occasion se présente à l'enseigne du "Tabou", un autre bistro ouvert toute la nuit, au 32 rue Dauphine. Cet établissement possède une magnifique cave voûtée, sur laquelle Leduc jette son dévolu. C'est ainsi que "Le Tabou" ouvre sa cave le 11 avril 1947. Le succès est foudroyant. Quelques mois plus tard, Boris Vian forme avec ses deux frères un orchestre ( les Grrr... ) qui connaissait une grande faveur. Accueilli par Juliette Greco et Anne-Marie Casalis, le nouveau monde des Arts et des Lettres vient faire "la jam" rue Dauphine : on y rencontre entre autre Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Yves Montand et Simone Signoret, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud et quelques danseurs, qui font l’ambiance !. Il faut avoir descendu au moins une fois le fameux escalier de pierre conduisant à "l'antre existentialiste" !. Mais l'affaire tourne vite au scandale. La presse n'hésite pas à qualifier "Le Tabou" de centre de folies organisées. Les gens du quartier pétitionnent... sans grand résultat...

Boris Vian, désormais surnommé "le Prince de Saint-Germain", déserte alors la célèbre cave de la rue Dauphine et en juin 1948 émigre vers une nouvelle boîte , le "Club Saint-Germain", qui connaît à son tour un extraordinaire succès. Le "Club" voit défiler les plus grands musiciens de l'Epoque : Charlie Parker, Kenny Clarke, Count Basie, Erroll Garner... En juillet 1948, Duke Ellington s'y produit dans un immense concours de fans : plus de mille personnes se bousculent rue Saint-Benoît sans pouvoir pénétrer le sanctuaire du jazz. C'est également au "Club Saint-Germain" que Boris Vian lance le Be-Bop , révélé à Paris en février 1948, lors du fameux concert donné salle Pleyel par Dizzy Gillespie, le chantre du nouvel art.

Quant à Claude Luter, il quitte le "Lorientais" et, en décembre 48, s'installe au sous-sol du théâtre du "Vieux Colombier", où il poursuit sa célèbre carrière, applaudi par Queneau, Giacometti, Camus, Sartre et les autres. Il y est rejoint par Sidney Bechet, le grand prêtre du jazz "Nouvelle-Orléans". Le Bar vert, Le Lorientais, le Tabou, le Club Saint-Germain, le Vieux Colombier, le Blue Note, autant de noms qui résonnent encore à nos oreilles comme les cris débridés d'une jeunesse née de la guerre, ivre de liberté et éclatante de talents.

De 1945 à 1950, naît un nouveau monde, dans les caves de Saint-Germain , où se mêlent avec bonheur la doctrine existentialiste de Sartre et les musiques révolutionnaires d'Amérique et la danse !. L'individualisme, l'ivresse de la liberté sont des graines, plantées à Saint-Germain, qui vont germer pendant vingt ans, avant d'éclater en révolution, au joli mois de mai 68. Mais Paris gardera en mémoire la grande Epoque des caves de Saint-Germain-des-Prés, comme un des épisodes les plus pittoresques de son histoire.

Rubato n° 13 - 10/99 • Louis Hauser
Remarques de Jano Merry

   Personnellement je fréquentais le Lorientais depuis ses débuts. (C’est là que tout s’est créé) Nous n’étions seulement que quelques copains qui y dansaient à l’origine. Il y avait : Hot d’Déé, pur Parisien mais d’origine africaine; Iba Gaye, africain celui-là (le fils de Lamine Gaye, président de l’assemblée nationale du Sénégal) qui était à Paris pour faire ses études de droit; Jean-Pierre Pitoëff, de la famille d’acteurs de théâtre Pitoëff, d’origine Russe; Warojan Adjemian, Arménien né à Alep en Syrie qui était également en France pour ses études et moi-même. C’est ce petit noyau qui a tout créé au départ. Chacun dans son style plus ou moins particulier mais qui formait quelque chose de nouveau, typiquement Parisien. Pour nous c’était du Swing, un point c’est tout

Puis il y eu l’ouverture de toutes les autres Caves (en 1947 le Tabou, & en 1948 le Club Saint-Germain, le Vieux Colombier...). Quelques nouveaux danseurs firent partie de ces débuts, surtout, Serge Zilbéras, Michel D’alexis, James Campbell, Jean-Pierre Cassel , parmi les principaux qui apportèrent quelque chose… puis Gilbert Omnès, Paul Septembre, Raymond Chamalet, Jeff Taranto, Ricardo Buongiovanni, Patrick Sommacarera, Pat le Gitan, N’diaye Babakar, Alexandre Gomis (dit Gandhi) et quelques autres... arrivèrent à leur tour. Je peux vous dire que ce sont à peu de chose près les seuls danseurs qui fréquentaient Saint-Germain à cette époque et participèrent à cette grande épopée.

J’ai eu simplement la chance que ce fut mon style qui s’adaptait le mieux à la scène et qui servit à monter les premiers « Ballets », grâce aux Balancés, Tap-Tap et quelques autres figures originales et spectaculaires qui ont fait la différence et vraiment lancé le « Be-Bop ». Quelques autres danseurs arrivèrent dans ce petit groupe après 1950, mais tout était déjà créé depuis longtemps.

Il y régnait une ambiance extraordinaire. Les "Touristes" se pressaient dans les caves pour admirer musiciens et danseurs. Pour nous, nous dansions toujours le Swing ou le Boogie, toujours sur du Jazz, et de n’importe quel style...
Ce sont les touristes et les habitués qui ont dit « Ils dansent le Be-Bop » simplement en rapport avec le nouveau style de Jazz qui commençait à se faire connaître. Et ceci pendant 7 années.

Le nom est resté jusqu’à l’apparition du Rock’ N Roll en 1955 où les producteurs du film «Graine de violence» sont venus nous trouver au "Vieux Colombier" ou nous dansions mes partenaires et moi, « les JITS BOPS » pour nous demander de venir regarder en première projection privée cette nouvelle musique qui arrivait d’Amérique et que nous ne connaissions pas. C’était "Bill Haley et ses Comets". On a trouvé ça "chouette" et le soir même la presse était convoquée au "Vieux Colombier". Comme à l’habitude nous avons fait notre numéro, mais au lieu d’annoncer  et voici les JITS BOPS dans un numéro de Be-Bop , on a annoncé  et voici les JITS BOPS dans un numéro de Rock’ N Roll . Nous avons dansé exactement comme à l’accoutumée sur la musique de l’orchestre de Claude Luter, (donc New-Orleans). Il y avait Gréco,  Eddy Constantine et d’autres artistes..., tout le monde est sorti danser dans la rue (pour la presse...), et du jour au lendemain on dansait le Rock’ N Roll bien que n’ayant absolument rien changé à la danse...
« Blackboard Jungle » - 1955
    « Graine de violence »

Réalisateur : Richard Brooks (1955)
Musique : « Rock Around The Clock » de Billy Haley
Acteurs : Glenn Ford (Richard Dadier) ; Anne Francis (Anne Dadier) ; Richard Kiley (Joshua Edwards) ; Louis Calhem (Jim Murdoch) ; Margaret Hayes (Lois Judy Hammond) ; Sidney Poitier (Gregory W. Miller) ; Emile Meyer (Mr. Halloran)

Autre particularité de ce film et non des moindres, en simplifiant, on pourrait dire que le « Rock and Roll » est né en 1955 de ce film. Pour illustrer la parenté qu'il pouvait y avoir à cette époque entre une certaine jeunesse pré-délinquante (autre cliché) et le « Rock and Roll » (qui n'existait pas encore, en fait), Richard Brooks, qui avait remarqué que les jeunes des quartiers pauvres avaient délaissé le « jazz » pour des airs plus remuants, eu l'idée d'utiliser un 45 tours sorti l'année précédente. Il s'agissait d'un certain « Rock Around The Clock » interprété par un groupe de Country and Western plus énergique que les autres, « Bill Haley and The Comets ».

Le film a eu un impact indéniable sur la jeunesse et a assuré la promotion du « Rock » naissant.
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